LA CROISSANCE, RÊVE OU CALAMITÉ ?

Allez hop, voilà la rentrée politique ! Et puisqu’ils y vont tous (de leur future candidature sans projet), je vais y aller moi aussi (de mon projet sans candidature). Thème d’aujourd’hui : la croissance, rêve ou calamité ? Qu’est-ce qu’on a pu nous en rebattre avec cette idée de croissance ! Paraît même qu’elle serait définitivement incontournable. Sans croissance, pas de progrès, pas d’avenir, régression,  »no future », pas d’emplois, j’en passe et des meilleurs. Hum, hum, voyons voir tout ça de plus près…

Si l’on en s’en tient à la définition première de la croissance économique comme accroissement de la production nationale des biens et des services pour satisfaire le public, rien à redire. L’idée de croissance devrait nous chavirer d’aise. Cet accroissement des biens et des services serait tout bénéfice pour le citoyen lambda si elle était mesurée par un indicateur de production  »en volume » ou en  »indice de satisfaction ». Mais non, elle est mesurée  »en valeur monétaire ». Le taux de croissance équivaut au taux de variation du PIB (Produit Intérieur Brut). C’est donc un simple gain financier envisagé au niveau national. La question est de savoir si la progression des gains financiers au niveau national rime avec la satisfaction des besoins élémentaires de chacun. Il y aurait déjà beaucoup à dire sur le problème de la répartition des « fruits » de cette croissance. Mais ce n’est pas l’objet du propos d’aujourd’hui. Par contre, si une année, j’achète un téléviseur A à tel prix et que l’an d’après il a été remplacé sur le marché par un téléviseur B coûtant 40 % plus cher au prétexte de quelques innovations techniques, on nous dit que la croissance monétaire aura été de + 40 %. Ma satisfaction de consommateur aura-t-elle grandi de 40 % ? Rien n’est moins sûr. Si, pour alimenter l’ogre économique néo-libéral, les [entreprises|http://www.yetiblog.org/index.php?2006/04/05/50-une-forteresse-a-reconquerir] sont contraintes de recourir à des procédés artificiels comme l’obsolescence, cad penser et concevoir des produits pour qu’ils n’excèdent pas une certaine durée d’utilisation, peut-on dire que le consommateur y trouve satisfaction ? Qui n’a pas pesté contre l’obsolescence accélérée des produits informatiques que l’on est contraint de changer à un rythme de chevau-légers. Quid d’une bagnole qui rend l’âme de partout à 100 000 km au compteur ? Autre exemple : pour faire tourner la machine diabolique, on limite l’offre à des produits de plus en plus archi-sophistiqués, donc de plus en plus chers, quitte à nous priver de biens ou services beaucoup plus simples, donc moins chers, mais qui suffiraient largement à nous combler. Ainsi de la fameuse Logan mini-prix de Renault, prestement retirée du marché européen quand on s’est aperçu qu’elle risquait de remplacer au pied-levé les engins sophistiqués bourrés de gris-gris électroniques qui vous inflationnent les tarifs et vous fragilisent la mécanique. Ainsi de l’interdiction « légale » des carburants alternatifs comme l’huile de tournesol ou de colza pour préserver essence et gazole, en voie de raréfaction, mais juteux pour le fisc et les grandes compagnies pétrolières. Pire, et là on flirte carrément avec le sordide, que penser de ces grandes sociétés pharmaceutiques qui s’ingénient à contrarier la production de médicaments génériques pour pouvoir écouler leurs flacons de marques à prix exorbitants ? On en arrive à des tragédies comme celle du sida qui décime les populations des pays pudiquement appelés « émergents ». La croissance économique comme facteur de crimes contre l’humanité, bravo ! J’entends d’ici les intégristes néo-libéraux brailler leur ultime argument-qui-tue : mais sans croissance, PAS D’EMPLOIS ! Allons, allons, poudre de perlimpimpin ! La croissance annuelle des grandes entreprises du CAC 40 se mesure à deux chiffres. Les avez-vous jamais vu embaucher, investir une part de leurs bénéfices en créations de postes ? C’est que la logique de l’économie néo-libérale n’a plus rien à faire de la satisfaction du public. Seule l’obnubile la quête effrénée d’un profit exclusivement monétaire réservé à une bande d’aigrefins insatiables. L’argent qui était à l’origine un simple moyen d’échange des biens et services produits, est devenu le but en soi de l’activité économique, une entité perverse et dévorante qui finit par semer la désolation plutôt que le contentement. Gardons-nous pourtant de condamner l’idée de croissance, mais dans son acceptation première. Reconsidérons la croissance dans l’optique d’une satisfaction des vrais besoins du public, de tout le public, et non d’une course imbécile aux profits financiers. Raisonnons-la, harmonisons-la avec les possibilités de notre élément naturel, socialisons-la. Je sais que la tâche qui attend nos gouvernants sera rude. Non pas en raison de difficultés techniques, je suis persuadé que bon nombre d’économistes alternatifs sauront bâtir les solutions pratiques adaptées. Mais en raison des bâtons que ne manqueront pas de nous balancer entre les jambes les forcenés qui s’agrippent au magot. Le tout est finalement question de volonté politique. Et de bons sens.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.