RÉVEIL

 

Bon, c’est toujours l’été, le temps des vacances, même pour les retraités comme moi. Et je me traîne une flemme d’enfer pour aligner deux phrases. Alors , je vous ressors une vieillerie, un de mes tous premiers billets de blogueur, publié en octobre 2005. Vieillerie, vraiment ?


Ce matin très tôt, trois hérons jaillirent du marais qui borde le fleuve, pour se laisser porter un instant par les courants d’air chaud. Le soleil levant embrasait le ciel et les roseaux que l’automne commençait à jaunir. Dans les grands arbres, une chouette effraie hurla une dernière fois avant de s’en aller dormir. Dites-moi, mais dites-moi ce qui m’a pris, à cet instant précis, d’aller appuyer sur le bouton de la radio !

Le tumulte du monde submergea brutalement ma cuisine :

  • un Premier ministre aux faux airs d’un Assurancetourix enjôleur bradait subrepticement les bijoux de famille du Service public à ses copains ;
  • un petit ministre de l’intérieur continuait de pérorer devant une basse-cour médiatique extasiée ;
  • en Irak, trois nouveaux kamikazes ivres de bondieuseries explosaient et déchiquetaient des foules qui n’en pouvaient mais ;
  • la Chine secouait toujours les plaques tectoniques de la planète économique et déclenchait des tsunamis ravageurs dans les réserves de pétrole ;
  • pour ne pas être en reste, un énième cyclone ravageait les Amériques, révélant une nouvelle fois l’incroyable fragilité et l’insupportable vanité du genre humain ;
  • enfin, un assureur « militant » (sic) et une banque « partenaire » (re-sic) sponsorisaient stupidement ces désastres annoncés.

C’était dingue ! Le monde était devenu totalement dingue ! Et nous, modestes blogueurs de l’ombre, quidam indigné(e)s, que pouvions-nous faire pour ne pas sombrer dans la sinistrose ? Dénoncer et dénoncer encore ? À la longue, la litanie des dénonciations s’apparente à des cris impuissants de douleurs contre lesquelles nous n’avons trouvé ni baume apaisant, ni remède.

Continuer à nous battre comme des chiffonniers pour sauver nos prés carrés, remettre sans cesse nos ouvrages sur le tapis, s’emparer de tous les porte-voix possibles pour nous regrouper et rassembler nos forces, partir à l’assaut des forteresses qui nous mangeaient l’air et le pain ? Oui, mais nous savions qu’il nous fallait rester vigilants devant les promesses de lendemains qui chantent.

L’Histoire montre qu’aucun pouvoir digne de ce nom, ou du moins digne de nos espoirs, n’est pérenne. Le genre humain est ce qu’il est, nous sommes des agneaux, et les assoiffés de pouvoir finissent toujours par nous tondre la laine sur le dos. Il nous faut nous contenter des quelques fulgurances limitées dans le temps, comme la Révolution française, le Front populaire, Mai 68, l’avènement d’un Mandela…

Le problème avec les lendemains qui chantent, c’est que c’est toujours des lendemains.. Moi, ce qui m’importait, c’était les aujourd’hui. Je voulais faire le héron AUJOURD’HUI, trouver les vents chauds portant, TOUT DE SUITE ! J’ai éteint la radio, suis sorti sur le pas de ma porte dans le vent glacé du matin. Au moins, je savais à quelle meute je voulais appartenir. Il était temps d’aller rejoindre les autres volatiles de mon espèce et nous coltiner à la misère de monde.

A propos de Pierrick Tillet 3383 Articles
Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.