Radio de l’été : « Ascenseur pour l’échafaud » avec Miles Davis au ciné-club du lycée

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Radio Partageux #12. Où l’on voit Miles Davis improviser la musique du film « Ascenseur pour l’échafaud » de Louis Malle.

Le temps du cinéma en couleurs était arrivé et beaucoup boudaient déjà les films en noir et blanc. J’avais quatorze-quinze ans quand j’ai pris une grande claque avec « Ascenseur pour l’échafaud » au ciné-club de mon lycée.

Lycée d’État de garçons. Dans chaque préfecture il y avait, il y a toujours, un lycée chic qui est le repaire de la grande bourgeoisie. Le mien, comme les autres de même nom, a connu une kyrielle d’élèves devenus capitaines d’industrie, académiciens, professeurs d’université ou galonnés grassement payés. Une tapée de chefs d’entreprises parmi mes anciens condisciples. Et une belle branlée de médecins, notaires, avocats, experts-comptables. Qui étaient les fils de médecins, notaires, avocats, experts-comptables. C’est plus tard que j’ai compris qu’il était curieux de compter plus de vingt fils de bourgeois dans une classe de vingt-cinq élèves.

Dans ma classe un fils de cardiologue très bon client des disquaires. J’avais seulement l’impression d’être déphasé quand nous étions dans la même classe. J’ai appris à compter peu après. Mon premier boulot salarié dans la chaudronnerie industrielle pendant les grandes vacances… Mon ex-camarade de classe claquait chaque mois plus d’un Smic rien qu’en achat de disques. Je te fais grâce des nombreux concerts et festivals d’un bout à l’autre de la France et je t’épargne les montagnes de vêtements portés tout au plus une saison. Ça donnait une idée tangible du fossé entre les classes (sociales). 

Georges était fils de prolos. Père ouvrier. Mère faisant des ménages. Ils vivaient dans un quartier ouvrier. Famille catholique à l’ancienne mode. Durant l’été Georges n’avait pas le droit d’aller à la piscine municipale toute proche : un presque enfer ! Te rends-tu compte ? Il aurait pu y draguer des filles ! Seule sortie autorisée : le patronage du curé.

C’est Georges qui m’a fait connaître Robert, le curé de son quartier. Robert citait davantage Marx et Proudhon, Lénine et Rosa Luxemburg que la sainte bible. C’est Robert qui a expliqué à Georges pourquoi il portait les pantalons de son frère aîné quand les fils du cardiologue et du capitaine d’industrie de sa classe étaient sapés comme des milords. La lettre de démission de Robert à son évêque m’a beaucoup fait rigoler. Il avait rencontré une religieuse à son goût. La lettre ? Un simple carton d’invitation envoyé à l’évêché : « Arlette et Robert ont la joie de vous faire part de leur mariage qui aura lieu […] » Non, pas une, mais deux démissions.

Les fils de prolos. On nous faisait bien sentir que nous n’étions acceptés au lycée que par une bienveillance dont il ne fallait pas abuser. Les fils d’épicier, de paysan ou d’ouvrier étaient minoritaires et souvent pensionnaires. Le proviseur ne nous aimait guère. Un lycée d’État de garçons se devait de maintenir un bon niveau. Et, pour lui, niveau scolaire et niveau social allaient de pair.

Je te raconte tout ça parce que le proviseur nous a expliqué que le foyer des élèves, avec son ciné-club, était financé par le lycée. Et que c’était bien par obligation qu’il finançait un machin destiné aux seuls internes, dont la moitié étaient des fils de gens de peu.

La vidéo : je t’ai mis un extrait où l’on voit l’enregistrement de Miles Davis et ses compères improvisant devant l’écran qui projette le film en version muette. Grâce au disque compact on a pu écouter toutes les prises et non les seules retenues dans le film. Et je n’ai jamais regretté ma dépense.

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