Radio de l’été : Gilles Servat chante « Vieille ville de merde »

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Radio Partageux #03. Chaque lundi, pour bien commencer la semaine, on s’en remet une de derrière les fagots tout droit dans les oreilles. C’est la chanson du lundi.

C’est parfois toute une histoire que l’histoire d’une chanson. Ainsi en va-t-il pour « Vieille ville de merde » chantée par Gilles Servat qui en a écrit le texte. Mais Gilles Servat a traduit, avec fidélité, une chanson que l’on connaissait précédemment en anglais. Reprenons au début.

Ewan MacColl, un Anglais, écrit en 1949 « Dirty Old Town » une ballade dont la mélodie rappelle les ballades de Woodie Guthrie, un Américain. C’est une chanson d’amour, non pour une fille, mais pour une ville. Salford, d’une mochitude achevée, est la ville industrielle des environs de Manchester où Ewan MacColl a grandi. Tu peux écouter ici la version originale. Elle est agrémentée de photos de Salford des années entre 1950 et 1970.

Vingt ans plus tard la chanson d’Ewan MacColl est reprise par The Dubliners, les Irlandais d’un groupe de musique traditionnelle. Reprise entre une vieille chanson et un air à danser du répertoire irlandais. The Dubliners en font une chanson célèbre quand l’original était resté confidentiel.

Plus tard encore The Pogues, un groupe de punk-folk imbibé, donne à « Dirty Old Town » une nouvelle jeunesse. La troisième. Shane McGowan, le chanteur du groupe, lui apporte une couleur encore plus âpre et lugubre. La gueule, la dentition et la hargne du chanteur sont en parfait accord avec ce que l’on ressent d’une chanson qui n’inspire pas la joie de vivre. Et la chanson va encore faire le tour du monde. 

The Pogues sont regardés comme un groupe irlandais. Bien qu’ils vivent à Londres. Shane McGowan est regardé comme un Irlandais. Certes, son père est irlandais, mais il est né dans le Kent et vit à Londres.

Et c’est par ces chemins tortueux que « Dirty Old Town » a bien assis son statut de chanson… irlandaise. Damned ! pleurent les Anglais. On nous a volé notre chanson anglaise si délicieusement triste (so gorgeously sad). La ville de merde, what the fuck ! c’est une ville anglaise ! Pas une ville irlandaise ! Le référendum sur le Brexit ? Bah ! Le Tournoi des cinq nations avec des supporters écossais, gallois ou irlandais hurlant de joie devant une défaite des English ? Bah ! Alors, si tu vas survoler les commentaires sous les vidéos, tu te diras que les anglophones vont continuer à s’empailler encore très longtemps au sujet de « Dirty Old Town ».

Et les francophones mettront de l’huile sur le feu en relevant que Gilles Servat, le traducteur adaptateur de « Vieille ville de merde », a enregistré son tout premier disque dans un studio de… Dublin, Irlande. À une époque où The Dubliners… Goddam !

Gilles Servat est l’auteur d’une respectable tripotée de chansons en français et en breton, dont beaucoup ne sont plus disponibles chez les disquaires, alors qu’il a commis une tripotée de respectables chansons. En ces temps où l’on nous propose des intégrales, messieurs les éditeurs, ce serait sympa de penser à nous faire une intégrale Servat. Et ça nous permettrait d’alimenter la radio des blogueurs pendant encore quelques étés. Et ça éviterait peut-être que les futures générations ne s’engueulent sur la nationalité d’une chanson de Servat devenue mondialement célèbre depuis sa reprise par un groupe d’on ne sait quel exotique horizon.

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