Chaque lundi, pour bien commencer la semaine, on s’en remet une de derrière les fagots tout droit dans les oreilles. C’est la chanson du lundi.
L’intervenante regarde les gars, des matons et des détenus, qui chahutent dans le couloir comme des gamins turbulents dans la cour de l’école. « Tu vois, ce sont les mêmes. Et ce n’est que le hasard qui a mis les matons du bon côté du manche. »
Les courtes peines. Des histoires dérisoires. Ivresse sur la voie publique. Chien sans collier et en liberté sur la voie publique. Grivèlerie. Vol à l’étalage. Petits trafics divers. Recel de marchandises volées. Des affaires dérisoires. C’est leur répétition qui agace la Justice et qui finit par leur valoir des peines fermes. Comme Martin qui a pris quatorze mois pour « ivresse » comme il dit. Je le connais bien hors de la taule. Il ne boit que sur la voie publique et jamais tout seul bien sûr. Un juge en a eu marre de le voir et de lui refiler des peines assorties du sursis. Avec une peine ferme on a ressorti du tiroir toutes ses condamnations. Alors quatorze mois…
Elle pleure comme une fontaine et ne mange rien depuis qu’elle est internée. Elle perdra plus de dix kilos durant sa rétention. La Justice ne lui reproche rien mais veut l’entendre dans une affaire de trafic international de voitures volées où elle est citée comme témoin. Comme elle est moldave, afin de s’assurer de sa présence lors de sa convocation, on la maintient en rétention. Ça lui apprendra à venir faire du tourisme en France. Elle parle roumain, russe et italien. Dans la maison d’arrêt elle a la chance d’avoir une codétenue qui parle roumain et français. Ça lui évite d’être seule au monde. Après quatre mois au quartier femmes, et une brève audience, elle est remise en liberté. Son avocate, commise d’office, dit que son témoignage n’a rien apporté au dossier.
La détenue qui parle roumain et français purge une peine de six mois fermes. « Mon mari ne trouve pas de travail. On n’a plus rien à manger. Mes enfants ont faim. Alors je vole de la nourriture. Le juge a dit que j’en ai volé trop et que c’est pour ça qu’il m’envoie en prison. Et pourtant c’était à peine assez pour nous nourrir tous les quatre pendant une semaine. »
Bien sûr il n’y a pas que des affaires dérisoires. Mais elles représentent un joli paquet des incarcérations. Un chiffre qui laisse rêveur : entre 80 et 90 % des détenus sont chômeurs au moment de leur entrée en prison. Ça veut dire que tu as bien plus de chance d’aller en prison pour un vol de mobylette que pour détournement de biens sociaux, pour carottage du fisc, pour doigt dans le pot de confiture au Panama, au Luxembourg ou ailleurs.
Si on a de la pitié pour les fous qu’on devrait soigner, de l’indulgence pour les pauvres diables qu’on devrait aider, il n’y a rien à pardonner aux bandits et brigands. Les vrais truands, ils ne sont pas très nombreux en taule, ne sont que des grands prédateurs sans scrupule à l’image des capitaines du capitalisme. Libérons fous et pauvres diables. Ça fera de la place en prison pour les industriels de l’amiante et de la chimie. Pour les détenteurs de comptes dans les paradis fiscaux. Les amendes, ces gens-là s’en foutent, ils peuvent payer. Tandis que passer des mois dans une cellule humide et froide quand elle n’est pas brûlante, une cellule qui sent les pieds, le caca du gars qui vient de chier, le chou trop cuit et la sueur de gens qui n’ont droit qu’à une douche par semaine…
« Prison 101. » Je me suis souvent demandé ce que foutaient en taule un bon paquet des personnes rencontrées. Annkrist se demande « Qu’est-ce qu’on foutait Prison 101 ? »