Récemment, un ami me confiait avoir du mal à continuer de lire mon blog tant il trouvait mes textes déprimants, J’en fus réellement surpris. Certes, mes billets décrivent le lent processus d’une agonie, celle d’un autre terrifiant fondamentalisme : l’arrogant mysticisme « athée » occidental. Mais n’y a-t-il pas plutôt matière à en ressentir un soulagement ?
Nous nous gaussons de ces fondamentalistes religieux obscurantistes, capables de se faire exploser au prétexte qu’ils sont persuadés d’atteindre ainsi un paradis post mortem pour l’éternité. Mais nous, Occidentaux, avons fait bien pire. Nous avons eu l’outrecuidance d’imaginer que notre sainte Trinité moderne — la connaissance scientifique, la croissance matérielle exponentielle, et le Dieu pognon — allait nous assurer une éternité carrément pre mortem… sur terre !
Nous avons cru dur comme fer que nous étions en mesure de supplanter Dieu à nous tout seuls. Vous ne me croyez pas ? Regardez donc où investissent massivement les grands groupes futuristes d’aujourd’hui, comme Apple, Facebook, Google : dans les champs de la santé et de la génétique. Leur objectif ouvertement déclaré : transformer l’être humain pour le rendre éternel.
Ceux-là, me direz-vous, n’agissent probablement pas pour le compte de l’humanité toute entière dont ils se fichent éperdument, mais pour le leur, celui de ces 10 % d’élus qui possèdent, pensons-nous, 90 % des richesses de la planète. Mais de quelles « richesses » parlons-nous ? De fric, rien que de fric. Celui-là même qui ne leur sert précisément à rien tant ils ont déjà tout et qu’ils enterrent comme des imbéciles dans des paradis fiscaux.
Mais nous-mêmes, valons-nous mieux qu’eux ? Que nos salaires reprennent leur courbe ascendante et nous enterrerons aussi sec les quelques rares bonnes résolutions prises lors de la COP 21. Regardez la monstrueuse expansion de la chirurgie esthétique pour effacer de nos visages et de nos corps les traces du temps. Voyez les photos retouchées de nos magazines, nos mannequins semblables à des rescapés de Dachau, la peau tirée à mort de nos stars vieillissantes. Regardez-nous en train de scruter fébrilement le niveau de notre cholestérol, nous faire sonder le fondement pour voir si quelques crabes ravageurs ne s’y tiendraient pas en embuscade…
Nous sommes de plus en plus malades à l’idée de ne plus bâfrer autant qu’avant, malades à l’idée d’être malades alors que nous vivons de plus en plus longtemps, au point que nos caisses de retraites ne parviennent même plus à suivre le train d’enfer que nous leur imposons, au point que nos pauvres têtes, flinguées par Alzheimer, ne sont même plus foutues d’accompagner nos corps sous perfusion jusqu’au tombeau….
Mieux vaut tenter l’incertitude du monde d’après que de s’abandonner à la catastrophe assurée du monde d’aujourd’hui
La crise qui nous frappe aujourd’hui, n’est pas seulement économique, financière et politique. Elle est existentielle et schismatique. Nous découvrons avec effroi que cette quête d’immortalité matérialiste effrénée était parfaitement vaine, effrontée et suicidaire. Nos liftings craquent de partout. Nos croyances les plus élémentaires partent en couille. Nos chapelles se lézardent et s’effondrent les unes après les autres. Et à force de lui chercher noise, nous voyons le ciel détraqué en train de nous tomber sur le coin de la figure aussi sûrement qu’il le faisait déjà du temps de nos aïeux gaulois.
Que cet effondrement de la cathédrale occidentale dominante fasse des dégâts, nul ne saurait le nier. Il en va ainsi, hélas, de toutes les révolutions, surtout qu’une fois de plus, celle-ci s’accomplira presque à notre corps défendant, envers et contre notre raison humaine une fois de plus défaillante.
Mais ce qui est encore plus sûr, c’est que rester plus longtemps sous la coulpe des dégénérés et des abrutis qui nous gouvernent aujourd’hui fera des dégâts encore plus irréversibles pour la pérennité de l’espèce humaine. À tout prendre, mieux vaut tenter, me semble-t-il, d’affronter sans tarder les incertitudes du monde d’après que de s’abandonner à la catastrophe inéluctable à laquelle nous mènent les fous du Dieu pognon.
C’est en tout cas le point de vue résolument pragmatique que je défends sur ce blog, billet après billet, sans me prendre le chou, ni m’empêcher de dormir : prendre le risque d’une révolution en parfaite connaissance de cause et d’effet. Or celle-ci est bien en cours. Les révolutions éclatent presque toujours sans que nous y prenions garde, à notre insu. À défaut d’être capables de les déclencher, autant savoir les prendre en marche.
Une dernière chose : vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai choisi une photo de « frère » Galabru pour illustrer mon petit sermon du jour ? Eh bien, parce que celui-ci représente à mes yeux l’archétype du brave homme, jovial, débonnaire, celui qui ne se la pète pas, qui vit et « gagne » sa vie du mieux qu’il le peut, quitte à sacrifier à quelques nanars alimentaires. Et puis qui, le moment venu, s’endort doucement pour ne plus se réveiller. Sans faire chier son monde.
C’est tout le mal qu’en ce début de nouvelle année, je souhaite à chacun d’entre vous en général, à mon pote déprimé en particulier (enfin, le plus tard possible quand même, faut pas déconner).