Effondrement : le catastrophisme positif de Pablo Servigne

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Pablo Servigne (photo : Marie Astier)

Pour Pablo Servigne, co-auteur de l’ouvrage “Comment tout peut s’effondrer”, le mot crise n’est plus approprié à notre situation présente. C’est le terme d’effondrement total qu’il convient désormais d’évoquer. Pour œuvrer sans tarder à la reconstruction.

En l’occurrence, dit Pablo Servigne dans un entretien accordé au site Reporterre, plus possible de revenir en arrière, plus possible d’enrayer la chute. L’effondrement en cours est trop avancé. D’autant qu’il existe plusieurs foyers d’effondrement qui se complètent et se renforcent :

  • L’effondrement financier, le plus rapide, mais aussi le plus superficiel et sans doute le plus facile à maquiller momentanément par des subterfuges (la production d’argent virtuel par les banques centrales, par exemple).
  • L’effondrement économique dû à l’épuisement des ressources énergétiques mondiales par un système qui repose exclusivement sur une croissance exponentielle de consommation de ces énergies. On mesure, note Pablo Servigne, ce que l’effondrement économique peut entraîner comme conséquences sociales, politiques, culturelles, humanitaires, sans parler de ce calamiteux état de guerre dans lequel l’empire occidental est d’ores et déjà entré de plain-pied…
  • L’effondrement climatique qui détruit notre environnement de vie est le plus pernicieux d’entre tous, le plus long à se dessiner (« quelques décennies »), mais aussi le plus implacable, et à terme le plus irréversible et le plus meurtrier.

« La science s’est rendue compte que le climat s’est emballé, que la biodiversité s’effondre littéralement. On dépasse des seuils qu’il ne faudrait pas dépasser sous peine de déstabiliser les écosystèmes qui nous maintiennent en vie. »

Peu de chance que la solution passe par la démocratie majoritaire

Couv_Comment_tout_peut_s_effondrer.jpgLes conclusions de Pablo Servigne et Raphaël Stevens pourraient paraître d’une banale évidence. Pablo Servigne reconnaît d’ailleurs sa dette à l’égard des travaux menés par Dennis Meadows et son équipe dans les années soixante-dix.

Mais comment ne pas répéter et préciser encore et encore les cris d’alarme puisque l’attitude majoritaire reste sans conteste au déni de la réalité, tant du côté des masses dites populaires que de leurs responsables politiques ou des décideurs financiers et économiques obnubilés par leurs profits à courte vue.

Ce que l’on retire des propos et des écrits de lanceurs d’alerte comme Pablo Servigne et Raphaël Stevens, c’est que la solution ne tiendra probablement pas à l’exercice de la démocratie majoritaire. En cause, non la démocratie elle-même, mais le comportement régressif des majorités en état de choc (vote FN, récent triomphe des conservateurs en Grande Bretagne…). Les quelques exceptions démocratiques (Grèce, Amérique du sud) sont trop éparpillées et marginalisées pour enrayer le terrible engrenage.

« Le grand problème de notre époque : on sait mais on ne croit pas. Les mythes sont toujours plus forts que les faits. Notre mythe, c’est la croissance infinie, la techno-science qui domine la nature. Si on trouve un fait qui ne colle pas avec ces mythes, on le déforme pour le faire rentrer. On dit qu’on trouvera de nouvelles énergies, par exemple. »

Une trousse de secours pour le monde d’après

Pablo Servigne se revendique volontiers “catastrophiste”, non dans le sens d’un désir pervers, mais comme prise de conscience d’une réalité douloureuse. N’est-ce point les catastrophes qui, de tout temps, ont déclenché les prises de conscience et les réactions salutaires ?

Passer par le chaos semble désormais une étape inévitable. Tout juste pouvons-nous espérer qu’un bon crash financier survienne pour contrarier les conséquences bien plus tragiques d’un accident économique ou pire encore, d’un désastre écologique.

En attendant, eh bien rien d’autre à faire que de commencer à préparer dans son coin le monde d’après, préconise Pablo Servigne. Histoire d’atténuer les contrecoups de l’inévitable passage par le chaos. Comme après tout cataclysme historique, la reconstruction se fera de façon morcelée et non mondialisée, sous l’impulsion de minorités éclairées et non de majorités égarées, en préférant les mains dans le cambouis à la vaine attente d’un quelconque miracle venu d’en haut.

Production écologique, circuits commerciaux courts, investissement en énergies renouvelables, changement de comportement de consommation, rien ne sera de trop pour bâtir la trousse de secours indispensable de l’ère post-effondrement. Les beaux esprits stériles qui seraient tenter de railler la modestie de l’entreprise seraient bien avisés de constater qu’il n’y a strictement aucun autre échappatoire. Ou alors de nous l’indiquer très très vite.

Notes:

=> “Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes”, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Le Seuil, 19 €

=> Lire l’entretien de Pablo Servigne avec Marie Astier sur Reporterre

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