Nouveau : la BCE donne pouvoir à la France de battre monnaie

Mais que se passe-t-il ? Voici que notre Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE), vient en catimini, il y a quelques jours, de donner à un pays de la zone euro le droit de battre lui-même monnaie. Et qui plus est de façon quasi « illimitée » (le mot à la mode pour la finance internationale).

Mais attention, pas à Chypre, pas à la Grèce, pas à l’Espagne, pas au Portugal, pas à l’Irlande, pas à l’Italie. Non, à la France. À nous tout seuls ! Et, attention encore, pas dans n’importe quelle monnaie, pas en francs. Non, en euros sonnants et trébuchants (c’est le cas de le dire, comme on va le voir).

Certains observateurs avisés y ont (ironiquement) vu un signe plutôt positif. Paul Krugman, prix Nobel (forcément, un prix Nobel !) :

<< La France a de nouveau sa propre monnaie. >>

Figurez-vous, je ne suis pas prix Nobel (du moins pas encore), mais je serais presque d’accord avec l’éditorialiste nobelisé du New York Times : enfin un retour aux monnaies nationales dans l’Union européenne !

Sauf que, hum, toujours en euros, pas dans tous les pays membres… Vous seriez aspirant prix Nobel, vous vous demanderiez doctement tout ce que cela cache, n’est-ce pas ?

Les « économistes » entrent en scène

Eh bien, les Nouvelles économiques allemandes — Deutsche Wirtschafts Nachrichten (DWN)[1] — ont, elles, des idées bien plus vicieuses, bien plus perverses sur la question :

<< Cette action doit empêcher qu’une banque française ne s’écroule. >>

Les DWN indiquent qu’une banque française serait particulièrement dans le collimateur, mais sans que son nom soit officiellement indiqué. Les DWN citent trois banques françaises systémiques (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole), avec mention particulière pour le Crédit agricole (qui a terminé l’année 2012 dans le rouge).

Quelques économistes de forums ont au contraire voulu y voir un camouflet…  pour << les tenants de la sortie de l’euro >> :

<< Leur principal argument [celui des europhobes, ndlr] s’effondre : la BCE se comporte comme la BdF [Banque de France] et on peut maintenant jouer sur la monnaie sans qu’en plus cela entraine forcément une dévaluation. >>

Bon, ok, façon très originale de voir (ces savants tout de même !). Mais donner tout pouvoir monétaire apparent à un pays membre contredit pourtant sérieusement les règlements européens. Et si une institution comme la BCE viole ainsi ses propres prérogatives, c’est qu’il y a forcément anguille tortueuse sous roche.

L’offense du Sud à l’Allemagne

Un petit péril en la demeure à propos de la défaillance prévisible d’une banque française systémique, par exemple ? Une urgence incontinente à agir séance tenante ? Et empêcher en passant l’Allemagne de mettre son nez dans le sauvetage d’un nouveau coq boiteux de cette maudite zone pour laquelle tout irait si magnifiquement bien sans toutes ces fichues emmerdes ?

C’est en tout cas ce qu’insinuent méchamment et sans détour les DWN qui dénoncent un complot (contraint et forcé par leur triste état) des pays éclopés du Sud contre l’impuissante Allemagne :

<< Il se développe en France, sous les radars, une gigantesque bulle financière. L’Allemagne doit, impuissante, assister à ce qui se produit. Le chef de la Bundesbank, Jens Weidmann, peut tenir à ce sujet des prêches dominicaux. C’est tout. Cette action montre que la fraction Sud, dans les coulisses de la BCE a déjà largement pris le contrôle sur la structure de l’Europe. >>

Autrement dit, dans le sauve-qui-peut général, un meurtrier coup de canif vient d’être porté à l’intégrité de la monnaie unique. Mais chut, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes européens unis possible. Et qui diantre ose ici parler de fébrilité et de panique ambiantes ?

Notes :

[1Le texte intégral de l’article des DWN (corps des caractères respecté) :

TITRE : « Draghi accorde à la France une licence pour imprimer de la monnaie »

CHAPEAU : « La France a obtenu de la BCE la permission d’imprimer de la monnaie sur un programme d’obligations pratiquement illimité. L’affaire porte sur des banques non désignées (littéralement “banques de l’ombre”) et c’est une bulle (qui se mesure) en milliards. La BCE veut empêcher que l’Allemagne interfère se mêle du sauvetage de la France. »

BILLET : « A Chypre règne une vive émotion parce que le BCE a dépouillé la banque nationale de tout pouvoir. En France, sans que le public ne le remarque, c’est exactement le contraire qui se produit : la BCE a accordé à la France une licence illimitée pour imprimer de la monnaie.

Cette action doit empêcher qu’une banque française ne s’écroule. Car cela ne pourrait seulement être ainsi empêché qu’à l’ultime moment.

Fin 2011, il y a eu une action concertée des plus puissantes banques centrales du monde, entre autres, la FED, la Banque d’Angleterre et la BCE. Avec un volume jamais vu jusque là, la BCE a démarré des opérations de refinancement à long terme (LTRO – Long Term Refinancing Operations) et a mis environ 500 milliards d’euros à la disposition du système bancaire de la zone euro. Quelques mois plus tard, à peu près la même somme a été mise à la disposition des banques pour que ces dernières puissent “taper” la BCE.

A l’arrière plan se trouvait l’inquiétude que les banques de la zone euro qui détiennent la grande majorité des obligations d’États ne rendent l’âme si un état faisait défaut et que l’union monétaire parte en vrille dans son ensemble. Il était alors question d’une banque française qui était à la limite de rupture. Il n’a jamais été dévoilé de quelle banque il était question.

Depuis longtemps, les grandes banques comme la Société Générale, le Crédit Agricole ou BNP¨Paribas se trouvent dans le collimateur des marchés obligataires. Comme l’a rapporté Bloomberg, le Crédit Agricole a dû vendre l’année dernière pour 3,5 milliards de valeurs propres.

Entretemps il a été rendu public qu’a côté de ce courant de liquidités du LTRO, presque sans fin pendant trois ans, une deuxième source de liquidités presque inépuisable est à la disposition des banques françaises, le Marché STEP (Short Term European Papers).

Il faut comprendre par là, un marché pour ainsi dire non régulé sur lequel des obligations de banques et d’entreprises à court terme sont placées. Des titres de dettes pour un volume de 440 milliards d’euros y sont traités. En clair : le monde bancaire français s’est à nouveau développé de manière extrêmement créative et s’offre avec le marché STEP un programme de création de crédit totalement innovant quoiqu’à court terme une licence toute spécifique pour battre monnaie.

1 – Le marché STEP est hors bourse. Il n’y a donc aucune transparence.
2 – Le marché STEP est établi presque exclusivement sur le secteur bancaire français.
3 – Les banques françaises déposent ces obligations STEP en garantie à la Banque de France.
4 – Une banque nommée “Euroclear” (chambre de compensation entre la Banque de France et les banques) présente également des titres STEP comme “ garantie ” à la BCE.
5 – La Banque de France retransmet également les risques de ces obligations STEP déposées comme garantie à la BCE.

Il doit évidemment y avoir là dedans du papier de médiocre valeur. Tant que la banque centrale française étend sa main protectrice là-dessus, ces agissements jouent un rôle subalterne. Manifestement des titres avec la note BBB sont acceptés et déposés à la BCE.

INTERTITRE : L’histoire de fous de Draghi

La BCE, qui à l’avenir doit obtenir le contrôle sur l’ensemble des banques de la zone euro, ne peut en aucune manière prélever elle-même des données sur le marché STEP, elle les reçoit de la Banque de France à qui elles sont fournies par des tiers, eux-mêmes acteurs sur ce marché.
On arrive à la conclusion inverse : il se produit une création monétaire pour les banques françaises, sous l’autorité protectrice de la Banque de France, sans contrôle de la BCE. Une histoire de fous.
Avec 445 milliards d’euros estimés, les banques françaises contrôlent une partie considérable d’un marché opaque pour le financement des banques centrales. Les mesures d’alimentation à court terme ne sont pas exclusivement limitées aux banques françaises. Les banques de la zone euro échangent ces titres STEP et peuvent également les déposer à la BCE pour y puiser des liquidités. A côté d’un marché régulé, c’est une des possibilités pour accéder à des crédits très peu chers de la BCE.

Ce qui est intéressant dans cette situation : par rapport aux achats souvent et vigoureusement discutés d’obligations d’états par la BCE pour un montant, à l’époque, d’environ 200 milliards d’euros — par lequel la BCE s’est obtenu le titre de “bad bank” — les dettes de crédit des banques européennes sur la BCE culminent à une hauteur d’environ 1300 milliards d’euros.

Mario Draghi est conscient que cette opération n’est pas tout à fait casher. Il s’est exprimé dans le passé : “plus de transparence” serait nécessaire et que “l’on devrait prendre cette affaire très au sérieux”. Mais il n’a rien fait.

Pour une bonne raison.

La BCE a donné à la France une possibilité de stabiliser ses propres banques, sans que l’Allemagne puisse entreprendre quoi que ce soit pour s’y opposer.

Ce programme doit, semble-t-il, servir à acheter du temps pour les Français, jusqu’à ce que l’on arrive à l’union bancaire. Celle-ci état prévue pour 2018, maintenant, l’Union européenne veut rapprocher son introduction à 2015. Ensuite, le sauvetage des banques en Europe pourra être fait sur le dos des actionnaires et des épargnants.

Jusqu’à ce qu’on y arrive, il se développe en France, sous les radars, une gigantesque bulle financière. L’Allemagne doit, impuissante, assister à ce qui se produit. Le chef de la Bundesbank, Jens Weidmann, peut tenir à ce sujet des prêches dominicaux. C’est tout.

Cette action montre que la fraction Sud, dans les coulisses de la BCE a déjà largement pris le contrôle sur la structure de l’Europe. »

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